Littérature française

François Sureau

S'en aller

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Chronique de Jérémie Banel

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Avocat, homme de lettres, observateur avisé et inquiet de la vie de la cité, François Sureau dévoile, sous une forme originale, les figures qui peuplent son univers intellectuel, de Victor Hugo à Graham Greene, en passant par Valéry Larbaud et même Tintin.

Il ne suffit pas d'avoir une mémoire hors du commun et une curiosité vorace pour écrire des livres comme François Sureau : il faut aussi, évidemment, un vrai talent littéraire pour porter et faire vivre personnages, lieux, considérations philosophiques et profondeur historique. Dans la droite ligne de L'Or du temps, dont on reparlera plus bas, et avec un tourbillon de vies et de récits tressés qui rappellent les meilleurs livres de Patrick Deville, S'en aller est un récit romanesque presque sans fiction, consacré, comme son titre l'indique, aux héros du panthéon personnel de l'auteur qui ont choisi de partir. Un départ du monde, souvent volontaire, qui a pu prendre bien des formes, du départ concret, « réel », au départ métaphorique, retrait spirituel ou intellectuel. En partant de ce fil, dont on sent qu'il l'obsède lui-même et que les résonances avec sa propre vie sont nombreuses, c'est tout le tumulte des 200 dernières années qu'il déroule pour nous, « à sauts et à gambades ». De rebonds en digressions, d'allers-retours avec notre modernité (dont on sent qu'elle ne l'enchante guère) en réflexions plus personnelles à l'ironie mordante et incisive, on embarque avec lui et des figures plus ou moins célèbres ‒ explorateurs, diplomates, missionnaires, militaires, hommes de lettres, tous porteurs d'une forme d'absolu et d'intransigeance. Le regard désabusé et probablement nostalgique de l'auteur sert ici de miroir à notre époque. Figure singulière, jamais vraiment où on l'attend, François Sureau, en homme de paradoxes, prend plaisir à désarçonner par ses associations entre personnages et idées, au service d'un idéal, difficilement résumable, mais qui pourrait s'apparenter à une forme de grandeur, d'une certaine idée de l'existence, exigeante moralement et non dénuée de panache. Sans qu'il s'agisse à proprement parler de modèles, ils sont les uns et les autres, dans leur complexité, des repères et des sources d'inspiration. Les lecteurs de L'Or du temps, qui paraît dans le même temps en Folio, auront le plaisir de retrouver de discrètes apparitions d'Agram Bagramko, l'énigmatique et fantomatique peintre dont l’œuvre parcourait l'escapade géographique et littéraire de l'auteur le long de la Seine, dont les méandres se prêtent particulièrement aux récits sinueux et vagabonds de l'auteur. Le dernier mot sera pour lui : « la littérature m'est un filet jeté sur toutes choses et leurs correspondances ».

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